06-85.687 Arrêt n° 4778 du 12 septembre 2007 Cour de cassation - Chambre criminelle



Rejet Demandeur(s) à la cassation : procureur général près la cour d'appel de Rennes

Statuant sur le pourvoi formé par : - Le procureur général près la cour d'appel de Rennes contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre spéciale des mineurs, en date du 12 mai 2006, qui a relaxé Alnoor X... du chef de refus de se soumettre à un prélèvement biologique ; Vu les mémoires produits en demande et en défense ; Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 706-56 et R. 53-14 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, le 1er juin 2004, le procureur de la République de Nantes a requis un prélèvement biologique destiné à permettre l'identification de l'empreinte génétique d'Alnoor X..., mineur, déclaré coupable d'agressions sexuelles par jugement du tribunal pour enfants, en date du 4 mai 2004, qui a ordonné une mesure de protection judiciaire jusqu'à sa majorité ; que, les 4 février et 2 mai 2005, ce dernier a refusé de se soumettre au prélèvement ; qu'il a été poursuivi sur le fondement de l'article 706-56 du code de procédure pénale ;

Attendu que, pour infirmer le jugement et relaxer le prévenu, l'arrêt relève notamment que les dispositions de l'article R. 53-14 du code de procédure pénale sur lesquelles reposait l'obligation, pour Alnoor X..., de se soumettre au prélèvement de ses empreintes génétiques, sont illégales ;

Attendu que, si c'est à tort que la cour d'appel a ainsi statué, les dispositions réglementaires déclarées illégales ne pouvant avoir aucune incidence sur les éléments constitutifs du délit prévu par l'article 706-56 du code de procédure pénale, l'arrêt n'encourt pas pour autant la censure dès lors que la mesure de protection judiciaire prononcée à l’égard d’Alnoor X… par le tribunal pour enfants le 4 mai 2004 ne constitue pas une condamnation pénale permettant, en application des dispositions de l’article 706-54, alinéa 1, du code de procédure pénale, l’inscription au fichier national automatisé des empreintes génétiques ;

D’où il suit que le moyen ne peut être admis ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Source: Cour de cassation

Commentaire de l’arrêt de la chambre criminelle du 12 septembre 2007.

Les faits sont les suivants : un mineur (Alnoor X…) s’étant rendu coupable d’une agression sexuelle, a refusé de se soumettre à un prélèvement biologique, permettant le fichage de ses empreintes génétiques au fichier national automatisé prévu au titre XX du code de procédure pénale.

Le refus de se soumettre à un tel prélèvement est une infraction prévue par l’article 706-56 du code de procédure pénale (modifié par la loi du 5 mars 2007). En effet, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, le fait de refuser de se soumettre à un prélèvement biologique. Le fichage des empreintes génétiques concerne les personnes condamnées pour l’une des infractions mentionnées à l’article 706-55 du code de procédure pénale. Parmi ces infractions, on retrouve les infractions de nature sexuelles (les infractions de meurtre ou d’assassinat d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie ou pour les infractions d’agression ou d’atteintes sexuelles ou de proxénétisme à l’égard d’un mineur, ou de recours à la prostitution d’un mineur art. 706-47 dudit code).

L’arrêt nous apprend qu’un jugement du tribunal pour enfants du 4 mai 2004, avait déclaré Alnoor X… comme étant l’auteur d’une agression sexuelle. Cette juridiction a ordonné une mesure de protection judiciaire jusqu’à la majorité d’Alnoor X… Suite à sa condamnation, des officiers de police judiciaire ont tenté d’effectuer un prélèvement biologique, les 4 février et 2 mai 2005, sur notre délinquant, qui a refusé coup sur coup de s’y soumettre. Alnoor X…, par son refus, commet aux yeux du procureur de la République, une infraction passible d’une peine d’emprisonnement d’un an, et d’une amende de 15 000 euros, prévu à l’article 706-56 du code de procédure pénale précité. Le procureur de la République a donc engagé une action à l’encontre d’Alnoor X… devant les tribunaux en se fondant sur ce texte.

Un premier jugement donna gain de cause au procureur de la République ; mais voilà, Alnoor X… fit appel de cette décision devant la cour d’appel de Rennes. Cette juridiction, par un arrêt du 12 mars 2006, relaxa Alnoor X…, au motif étrange que les dispositions règlementaire de l’article R. 53-14 du code de procédure pénale, relatif à la durée de conservation des données génétiques dans le fichier national, étaient illégales. Par conséquent, le prévenu n’avait pas à se soumettre aux prélèvements biologiques, car la durée de fichage prévue dans lesdites dispositions règlementaires étaient elles-mêmes illégales.

Fort de ce constat, le procureur général près la cour d’appel de Rennes forma un pourvoi. Dans ce pourvoi il est fait grief, à l’arrêt de la chambre des mineurs, d’avoir ainsi violé les dispositions de l’article 706-56 et R. 53-14 du code de procédure pénale, en motivant sa décision comme elle le fait. A ce stade deux questions peuvent se poser : La cour d’appel peut-elle écarter l’application de l’article 706-56, en déclarant illégales les dispositions règlementaires prévoyant la durée à laquelle peuvent être conservées les données génétiques ?

La question en elle-même, nous le verrons, n’est pas pertinente en ce sens qu’elle ne couvre pas l’étendu de la décision de la cour de cassation. En effet, la question est plutôt de savoir, si oui ou non l’article 706-56 du code de procédure pénale trouvait à s’appliquer aux circonstances de fait.

Attendu que, si c'est à tort que la cour d'appel a ainsi statué, les dispositions réglementaires déclarées illégales ne pouvant avoir aucune incidence sur les éléments constitutifs du délit prévu par l'article 706-56 du code de procédure pénale,…

La Cour reprend sévèrement la cour d’appel qui en trouvant un motif pour ne appliquer l’article 706-56, fait un contre sens juridique qui n’est pas acceptable pour un juge de cour d’appel. En effet, la Cour de cassation affirme de manière péremptoire, que les dispositions règlementaires litigieuses, quand bien même eussent-elles été illégales, ne privent pas l’article 706-56 de son effectivité. Je m’explique. Pour qu’une infraction soit punissable, il faut que les éléments constitutifs de cette infraction soient réunis. Ainsi, une infraction n’est constituée qu’à la réunion de trois éléments :

  • un élément légal, (il faut qu'il y ait une incrimination prévue dans les textes de loi)
  • un élément matériel, (il s'agit d'un acte interdit par la loi (infraction de commission), mais il peut aussi s'agir de l'omission de commettre un acte prescrit par la loi (l'infraction d'omission).
  • un élément moral (il faut que l'acte provienne de la volonté de l'auteur).

Une fois ces trois éléments réunis, l’infraction est constituée, et la sanction inhérente à cette infraction doit être prononcée. En l’espèce, l’auteur n’a pas voulu se soumettre (élément moral et matériel) à l’article 706-56 du code de procédure pénale (élément légal). La cour d’appel, quant à elle, écarte l’application de l’article 706-56, au motif qu’une disposition règlementaire (relatif à l’application de l’article 706-56 précité) était illégale. La Cour de cassation tape sur les doigts des juges du fond, en soutenant qu’une telle disposition règlementaire, qui a seulement pour objet d’énoncer un régime relatif à la conservation des données biologiques, n’a aucune incidence sur les éléments constitutifs du délit. En d’autre terme, la Cour dit que lorsque les éléments constitutifs d’un délit sont réunis, l’infraction est constituée et la sanction doit être prononcée, et l’illégalité d’une disposition règlementaire ne changera rien à l’affaire.

Malgré l’erreur d’analyse de la cour d’appel, l’arrêt n’encourra pas de cassation, car la Cour de cassation viendra opérer à une substitution de motifs. La substitution de motifs, permet d’éviter une cassation inutile dès lors qu’en définitive la décision prise par les juges du fond est bonne. En d’autre terme, la cour d’appel a pris la bonne décision (en l’espèce le prononcé de la relaxe du prévenu), mais son tort était de s’être trompé dans sa motivation (voir supra).

…l'arrêt n'encourt pas pour autant la censure dès lors que la mesure de protection judiciaire prononcée à l’égard d’Alnoor X… par le tribunal pour enfants le 4 mai 2004 ne constitue pas une condamnation pénale permettant, en application des dispositions de l’article 706-54, alinéa 1, du code de procédure pénale, l’inscription au fichier national automatisé des empreintes génétiques ;

Cette deuxième partie de l’attendu est la plus intéressante, car c’est à ce stade que la Cour opère à la substitution de motifs. La Cour nous apprend que la mesure de protection judiciaire prononcée par le tribunal pour enfant le 4 mais 2004 à l’égard d’Alnoor X…, n’est pas une condamnation pénale ; par conséquent l’article 706-56 du code de procédure pénale n’est pas applicable. L’article 706-56 I du code de procédure pénale dispose que : « I. - L'officier de police judiciaire peut procéder ou faire procéder sous son contrôle, à l'égard des personnes mentionnées au premier, au deuxième ou au troisième alinéa de l'article 706-54, à un prélèvement biologique destiné à permettre l'analyse d'identification de leur empreinte génétique… ». Cette article nous renvoie à l’article 706-54 qui dispose que : «Le fichier national automatisé des empreintes génétiques, placé sous le contrôle d'un magistrat, est destiné à centraliser les empreintes génétiques issues des traces biologiques ainsi que les empreintes génétiques des personnes condamnées pour l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55 en vue de faciliter l'identification et la recherche des auteurs de ces infractions … ». Pour que l’article 706-56 puisse être applicable, il faut qu’il y ait eu préalablement une condamnation pénale. Or une mesure de protection judiciaire n’est pas une condamnation pénale, ainsi, aucun prélèvement biologique ne peut être effectué à l’égard d’Alnoor X...

Par conséquent, la Cour de cassation rejette le pourvoir formé par le procureur général.

En substituant le motif de la cour d’appel par le sien, la Cour de cassation évite une cassation qui aurait été inutile. Cependant, un tel arrêt de rejet à la même portée « normative » qu’un arrêt de cassation dans la mesure où la Cour de cassation censure la motivation retenue par les juges du fond et affirme sa propre position.

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